À l’origine de la peinture de Marina Vandra , il y a deux autres 1 pratiques : celle de la
scénographie et celle de l’estampe. En 2011, ce sont les ballets de William Forsythe et d’Anne
Teresa de Keersmaeker qui rythment le quotidien de l’étudiante en scénographie à l’École
nationale supérieure des Arts décoratifs (Paris). Les lignes droites au sol mêlées aux éléments
naturels dans les mises en scène de la chorégraphe belge (La nuit transfigurée, 1998 ; Rain,
2001) ou encore les installations optico-cinétiques de l’artiste japonais Ryoji Ikeda pour le
danseur américain (Nowhere and Everywhere at the Same Time ; Test Pattern, 2013) marquent
déjà l’inclination de l’artiste pour l’hétérotopie qu’est la scène de spectacle et le décor qui s’y
déploie. À l’étude des techniques scéniques, et particulièrement de la lumière, s’est
rapidement conjugué l’apprentissage de l’estampe, qui devient en 2013, le principal médium
de la jeune artiste2. Pendant plus de sept ans, de 2013 à 2020, les précieux enseignements
délivrés à Paris par les maîtres d’art René Tazé et Michaël Woolworth ainsi que des passages
dans de nombreux ateliers d’estampe (Cracovie, Santa Fe, Washington, Londres…)
consolident et enrichissent sa pratique : gravure sur cuivre, sur bois, lithographie, monotype,
sérigraphie. Ce que Marina Vandra va retenir de ces diverses expériences, c’est, d’une part,
l’idée d’une oeuvre construite par couches successives et d’une image divisée afin que toutes
les couleurs voulues soient bien présentes à son stade final. C’est, d’autre part, la manière de
chorégraphie qu’impose au corps de l’artiste la succession des différentes phases du procès de
production : si sa reproductibilité, grâce notamment aux techniques de l’estampe, a fait perdre
à l’oeuvre son aura, cette dernière n’est toutefois peut-être pas totalement absente de la
dimension sculpturale et chorégraphique que la production et l’utilisation d’une matrice
détermine : « Il y a une sorte de travail de sculpture en estampe. On grave le bois, on mord la
plaque avec de l'acide, on porte des pierres, ce qui implique un rythme de travail particulier, le
corps est debout et tout le temps en mouvement.3»
Sur quel paysage ouvrent les Possibles fenêtres (2021-2022) de Marina Vandra, série
d’une dizaine d’acryliques sur papier, présentée au printemps 2022 à l’École d’art du Calaisis,
Le Concept (Calais) ? Avant d’entamer le travail de peinture, l’artiste évoque son plaisir à
observer l’espace dans lequel elle expose et la nature alentour, ici le petit jardin du centre
d’art visible à travers les grandes baies vitrées, qui d’ailleurs réapparaitront dans les images
de la série calaisienne. Il est toutefois clair que les déformations linéaires, le chromatisme
artificiel et la superposition des motifs n’appartiennent pas au réel mais ouvrent sur une
étonnante abstraction hantée par le souvenir de l’estampe. En 1966, Barnett Newman
demande dans le titre de l’un de ses tableaux : qui a peur du rouge, du bleu et du jaune ? Une
chose est sûre : Marina Vandra n’a pas peur du vert. La série des Possibles fenêtres se déploie
en effet dans une large déclinaison de verts, comptant plus de deux cents tonalités différentes,
du vert opale (rappelant les nuances des eaux calaisiennes) au vert sapin, en passant par le
turquoise et l’olive. La sensibilité chromatique de l’artiste a en partie pour origine son activité
d’imprimeuse exercée pendant près de trois ans chez Michaël Woolworth, exigeant rigueur et
acuité visuelles dans le processus de reproduction des couleurs. Chaque peinture est construite
selon une composition structurée en bandes de largeurs différentes. La surface de Possibles
fenêtres 1 a d’abord été recouverte d’un aplat vert clair, puis s’est vue enrichie d’une bande de
motifs aux formes organiques dans sa partie inférieure. En son centre, trois zones à rayures
traitées en dégradé complètent l’ensemble. Dans Possibles fenêtres 7, deux bandes verticale et
horizontale structurent la composition et encadrent les motifs algaux qui traversent le tableau
en son centre, et rappellent les peintures de flore aquatique de Malika Agueznay, membre de
l’École de Casablanca de 1966 à 1970, qui avait elle-même une double pratique de peinture et
de gravure : « Être graveur permet au peintre que je suis de me dédoubler et de réaliser tout ce
que je ne peux faire en peinture. Et pourtant ma peinture et ma gravure se tiennent par la
main . » Tel un cahier de coloriage, chaque zone colorée d’une toile 4 de Marina Vandra est
définie par un dessin avant d’être peinte. Pour aboutir à ces abstractions hard edge, Marina
Vandra a recours au scotch de masquage, comme on utiliserait le vernis en gravure sur cuivre,
permettant de protéger certaines parties du tableau pendant qu’elle en travaille d’autres. Audelà
de cette mémoire technique qui ressurgit dans ses peintures, c’est dans la fabrication
même de ses compositions que l’estampe fait retour : « J’ai toujours été habituée à composer
mes images en couche lorsque j’étais plongée dans l’estampe, c’est donc instinctif pour moi
de penser ma peinture par strates. » L’artiste va jusqu’à 5 simuler des superpositions de
couleurs afin de rejouer la technique chromatique de l’estampe. Si devant les oeuvres,
certaines couleurs semblent être le résultat de la rencontre entre deux autres nuances à la
surface de la peinture, il n’en est rien. Marina Vandra fabrique cette troisième couche colorée
comme pour simuler le geste de l’imprimeur. Cette attention toute particulière aux données
fondamentales mêmes de la peinture (couleur, structure, nature du support, modalité de
présentation) témoignent sinon d’une logique formaliste dans l’oeuvre de l’artiste du moins
d’un réel plaisir de la forme : « J’aime produire des formes à la fois douces et énigmatiques,
des formes qui suscitent la contemplation et le silence, rien de trop bruyant, rien qui
délivrerait un quelconque message. Je cherche à ne pas me répéter et à créer tout le temps de
nouvelles formes que j’extrais de livres d’art, de design, d’un costume de scène, de la
bande dessinée ou encore de la nature6. » Le répertoire de motifs flottant sur les aplats verts,
bleus (Élaborer des récits, 2021) ou roses (Suggérer des échos, 2022) mobilise des registres fort
différents et peut faire se rencontrer un biomorphisme cellulaire, comme celui que Jean
Painlevé aurait pu filmer dans les années 19307, et une géométrie faite de croisements de
lignes et de fragments de grilles. L’artiste abstrait ces signes d’un vocabulaire issu du monde
extérieur l’éloignant peu à peu d’une pure abstraction formaliste qui ne saurait s’intéresser à
rien d’autre qu’elle-même. Cette abstraction, qui frôle quelquefois la figuration, vient à
s’affirmer encore davantage dans l’usage que Marina Vandra fait de son passé
scénographique.
Lorsque le public pénétrait dans les salles d’exposition de l’Espace du Calaisis, sa
circulation était perturbée par la présence au sol de certaines peintures de la série. D’autres
étaient fixées au plafond de sorte qu’en levant la tête pour observer les acryliques, le
spectateur manquait de choir dans les Possibles fenêtres au sol. L’espace, du sol au plafond,
était occupé par des peintures. D’une part, celles-ci prenaient une dimension proprement
architecturale par leurs positions inhabituelles et, d’autre part, les lignes droites et courbes
peintes à leur surface jouaient, elles aussi, avec l’architecture du lieu. L’artiste reste ainsi
fidèle à la séculaire définition de la peinture comme ouverture, comme fenêtre : « J'aspire à
transporter le corps du regardeur avec mes peintures-fenêtres autant qu'un spectacle peut le
faire . » Mais la fenêtre de Marina Vandra, plus que sur 8 le monde, ouvre sans doute sur une
scène et son décor. Ces tableaux, que l’artiste définit comme des « décors découpés9 », ne
sont pas dépourvus de toute illusion de profondeur spatiale, et par l’espace scénique qu’elles
paraissent évoquer, elles se mettent résolument à distance de cette abstraction essentialiste
dont la caractéristique essentielle est, selon Michael Fried, l’anti-théâtralité10 ? » La «
théâtralité » des peintures de Marina Vandra est renforcée par le recours à une acrylique
destinée à la réalisation des décors de théâtre, un matériau permettant l’obtention
d’impeccables aplats. En outre, ces fragments de décor sont réalisés à partir de longs rouleaux
de papier que, tels des lais de papiers peints, l’artiste segmente. Devant ces oeuvres, le
souvenir de Logical Window (1965) du peintre américain George Woodman, superposition de
plans colorés traversés par des motifs informels, revient à notre mémoire. La fenêtre de
Woodman appartient à ce moment de l’histoire de l’art américain où, au début des années
1970, sous l’appellation Pattern & Decoration, certains artistes choisirent de rejeter les
préceptes tout à la fois de l’abstraction formaliste, du minimalisme et de l’art conceptuel pour
célébrer l’ornement, le décoratif, l’artisanat et les motifs non-occidentaux. Parmi les membres
du groupe, on compte, entre autres, Richard Kalina, Joyce Kozloff, Robert Kushner ou encore
Joe Zucker qui, dans leurs peintures, exaltent le plaisir de la forme11 par le biais de
l’ornementation florale, des mosaïques mexicaines ou byzantines, du patchwork ou de la
broderie orientale. Marina Vandra pourrait être une manière d’héritière qui s’ignorerait du
mouvement Pattern & Decoration tant ses peintures revendiquent une dimension décorative
appartenant à une singulière histoire naturelle, où les pochoirs d’algues (1935) de Geneviève
Hamon auraient croisé les papiers peints à fleurs de Marc Camille 12 Chaimowicz, sans pour
autant totalement oublier la géométrie de la grille.
Double, l’oeuvre de Marina Vandra l’est résolument, tout à la fois dans ce qu’elle
donne à voir, une nature aux formes déroutantes et changeantes, mêlée à une solide structure
en plans, ainsi que dans l’héritage dont ses abstractions sont issues, de l’estampe à la scène.
Dans cette dialectique duale, Marina Vandra ouvre des fenêtres sur un théâtre imaginaire et
projette délicatement la matrice dans le décor.
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1 Marina Vandra est née en 1991 à Saint-Germain-en-Laye. Elle vit et travaille à Paris.
2 Marina Vandra a obtenu en 2018 le prix de gravure Lacourière qui récompense depuis 1979 un graveur en taille-douce.
3 Entretien avec l’artiste, juin 2022.
4 https://www.loftartgallery.net/artists/48-malika-agueznay/biography/
5 Entretien avec l’artiste, juin 2022.
6 Entretien avec l’artiste, juin 2022.
7 Mue(s) (2022), monumentale acrylique sur papier présentée au Syndicat Potentiel (Strasbourg) en 2022,
confirme le tropisme cellulaire de la plastique de Marina Vandra : de mystérieux micro-organismes occupent le
champ pictural et se métamorphosent en feuillages qu’on imagine aquatiques. Il est permis de songer à certaines
peintures des années 1970 de Ray Parker (1922-1990).
8 Entretien avec l’artiste, juin 2022.
9 Entretien avec l’artiste, mai 2022.
10 Michael Fried, Art and objecthood [1967], Chicago/London, The University of Chicago Press, 1998.
11 « Dans leur engagement envers le décoratif, les artistes de P&D ont privilégié la surface par rapport au sujet,
la première servant principalement de véhicule à l’aspect sensuel des formes. » Lynne Cooke, « Pattern
Recognition », Artforum, Vol. 60, n°2, octobre 2021, pp. 132-141.
12 Geneviève Hamon, épouse de Jean Painlevé et coréalisatrice de nombre des films de celui-ci, a produit, à
partir de 1935, de nombreux pochoirs d’algues sur plaques de zinc réalisés à partir de l’observation de la faune
sous-marine.
Jean-Marc Dimanche
Texte écrit à l'occasion de l'exposition Observer août en duo avec Yoan Beliard à la Galerie Valérie Delaunay, Paris
Jean-Marc Dimanche est commissaire d'exposition indépendant
Il n'y a que l'éphémère qui dure
Eugène Ionesco
L’une peint alors que l’autre sculpte. Mais les deux composent, tels des archéologues du temps présent qui chercheraient à collecter des fragments d’instantané, futurs vestiges comme à l’avance prélevés de notre société d’aujourd’hui. Sans doute aussi ont-ils une même fascination et belle curiosité pour l’architecture, ou devrait-on dire l’habitat et les lieux de vie, qu’ils auscultent chacun à leur manière et dans les moindres détails, y puisant à travers lectures et voyages, la matière constitutive de leur œuvre.
Le travail de Marina Vandra semble glisser sur la toile. Ici des couleurs denses, presque sourdes qui nous permettent, dit-elle, de rentrer dans la peinture plutôt que ce ne soit celle-ci qui vienne trop brutalement à nous. Des couleurs de fin du jour et d’un temps suspendu, celui de l’été qui s’étire et s’étend à l’infini. Les motifs, eux, sont aussi nets dans leur contour que soigneusement assemblés. Le cadre ainsi est posé d’un intérieur dont le plan peut nous évoquer le Japon, et qu’elle décline telle une partition, en quelques variations au préalable dessinées sans en avoir été semble-t-il pour autant réellement décidées. L’artiste se nourrit d’images glanées dans livres et revues dont elle extrait quantité de détails avant de les reproduire en d’étonnantes compositions, esquisses reprises jusqu’à l’épuisement dans l’intimité de ses carnets. Il est bien sûr pour elle question de temps long, de celui de la réflexion qui lui permet une certaine distance à l’œuvre, jusqu’à celui de la mise en peinture pour laquelle elle déploie un savant système de pochoirs, gage d’une très subtile restitution des formes alors précisément découpées. Une règle du jeu, ou bien une règle de l’art, qui lui impose une parfaite maîtrise dans la pensée comme dans le geste pour accéder à la peinture. Ou bien s’agit-il malgré les traces du pinceau d’un dessin pour le moins augmenté ?
Yoan Béliard, lui, s’attache au relief. Celui des éléments qu’il rassemble et juxtapose, formes obtenues par simple empreinte ou moulage, tels les reliquats d’une réalité matérielle totalement fictive qu’il aime à restituer avec poésie en d’étonnantes sculptures et bas-reliefs. Même besoin également de passer par l’esquisse et le dessin avant se lancer dans une maquette – il a été formé à Boulle prévient-il – et de se plonger à cet instant dans la matière même de l’œuvre. L’étape est cruciale, qui verra l’arrangement bouger, les volumes encore se déplacer, combinatoire sinon aléatoire pour le moins instinctive de l’ordre d’un monde dans lequel les époques se superposent et s’entrechoquent. Ainsi sculpte-t-il, pièce à pièce, dans la tendresse du plâtre qui s’est imposé à lui depuis quelques années, de curieux assemblages, concrétions contemporaines d’un passé résolument composé et recomposé, autant par l’esprit que par la main. A la douceur des couleurs résolument enfouies dans la masse, peut surgir par endroit l’encre sombre et plus incisive d’images d’archives imprimées en surface, comme pour venir soutenir le propos et souligner la force narrative de l’œuvre. Il a choisi cette fois de s’intéresser à l’architecture balnéaire moderniste, celle de la Grande Motte, de Royan, et de tous les grands ensembles qui ont fleuri à l’après-guerre sur la côte atlantique, en en décryptant avec une certaine volupté un vocabulaire ornemental dont émane une étrange poésie.
Incroyable de penser que Marina Vandra et Yoan Béliard ne s’étaient auparavant jamais croisés, tant ils ont en commun ce même cheminement dans le travail, cette obsession de la composition et du détail jusque dans son exécution, sans parler de leur passion partagée pour l’architecture, qu’elle soit vernaculaire pour la première ou brutaliste pour le second. Alors, réjouissons-nous d’autant que cette douce lumière de la fin de l’été qui éclaire leur première exposition en duo, nous les donnent à découvrir ensemble et à la fois redécouvrir sans doute chacun différemment. Un beau dialogue s’installe à travers cette observation de la fuite du temps, art de la litote s’il en est qui nous donne à voir les images érodées d’un monde qui lentement se désagrège sous nos yeux.
De douces compositions abstraites… Des assemblages de lignes, de courbes, de carrés ou
de rectangles sur des motifs… Marina Vandra se place dans le formalisme et la continuité de
l’histoire de l’art, tout en affirmant un lien avec ses environnements directs. Car c’est souvent lors de résidences d’artistes que l’observation de ce qui l’entoure inspirera des séries de toiles
démultipliées dans des tonalités pastel. Pour accentuer cette perception de suites - peut-être également musicales - elle emploie principalement deux formats qui lui permettent de se concentrer sur ces idées de contenants et de contenus. Elle fait et refait des gestes identiques,
qui rappellent sa pratique de l’estampe en parallèle. Il est aussi intéressant d’apprendre qu’elle
fut étudiante en scénographie, passionnée des ballets de William Forsythe et d’Anne Teresa de Keersmaeker. Cette conception du geste à la fois très libre et totalement maîtrisé, de cette rigueur qui ouvre néanmoins des espaces infinis de projection, s’est ensuite développée dans son travail sur papier ou sur toile. Marina Vandra élabore de grandes lignes de composition, avant de passer aux formes plus diversifiées de ce qui pourrait être observé à travers une fenêtre, titre d’ailleurs donné à l’une de ses anciennes séries. Celle montrée ici se nomme Ouvrir, source infinie de lectures… L’artiste s’interroge sur la question de la réception de l’oeuvre, en intimant un dynamisme dans le regard de l’observateur, qui ne sera pas sans rappeler ses autres passions.
Marina Vandra est une artiste qui évolue entre peinture et gravure. Dans son travail, elle convoque
plusieurs registres d’images : celles qui créent un espace et celles qui décorent celui existant.
Avec vitalité, elle interroge ainsi, au-delà de l’image et de notre perception, le lieu intime où notre
regard nous porte. Elle nous propose ici un vaste panorama pictural aux surfaces colorées, qui se déroule comme une sorte de boucle visuelle. Les peintures ont ceci de particulier qu’elles se construisent pleinement avec la surface murale, dans l’architecture spécifique du lieu et en écho à ses dynamiques formelles.
Le programme iconographique articule des motifs mouvants aux résonnances naturalistes à des plans monochromes. Les découpes franches, elles, se jouent des cadrages asymétriques.
L’oeil glisse alors d’une couleur à une forme, d’une surface à une ligne, d’un cadre à un pan d’architecture, d’une impression à une observation, du dedans au dehors. Evoluant d’une paroi à une autre, on se compose un récit muet, qui s’écrit entre continuités et ruptures, certitudes et absences, comme un écho intime de notre présence.
Ce catalogue, édité à l’occasion de la troisième exposition individuelle de Marina Vandra, réunit pour la première fois une sélection des plus importants monotypes, lithographies, aquatiques - mais également acryliques - réalisés par l’artiste entre 2016 et 2018. Il donne, en outre, un aperçu de ses installations, essentiel à la compréhension de son oeuvre imprimé.
Marina Vandra s’est initiée à la gravure en 2012, après un détour, bref mais néanmoins décisif,
par la scénographie. Le paysage, et tout ce qui a trait à sa construction et à sa perception, n’ont jamais cessé d’être au coeur de ses préoccupations esthétiques. Estampe et espace y forment, pour ainsi dire, un tout indissociable. L’expérience d’un lieu et sa traduction plastique, nécessairement colorée par le regard rétrospectif, sous-tendent la production de ses estampes récentes. Celles-ci tentent, comme elle le dit elle-même, de restituer des « espaces mentaux », autant qu’expérimentaux.
Cette ambition formelle passe, entre autres, par une approche coloriste de l’estampe : depuis 2017, la graveuse travaille ses cuivres à l’aquatinte pure et brosse de larges monotypes polychromes. Par le jeu vibrant des surimpressions colorées, par l’abandon du trait gravé au profit des aplats fluides de l’aquatinte dont elle marie les ombres profondes aux gris légers, l’artiste cherche à traduire les effets poétiques de la mémoire sur la fabrique du paysage. Le fin et le flou, le proche et le lointain, l’opacité et la transparence, l’apesanteur et la gravité, se fondent et se télescopent dans une verticalité mouvante.
Ces « paysages-souvenirs », aux tailles imposantes, font par ailleurs l’objet de mises scènes immersives. L’artiste conçoit des installations dans lesquelles les estampes tapissent les murs, jonchent le sol où elles côtoient des sculptures biomorphes en plâtre et en céramique, faisant ainsi émerger un lieu autre, une utopie personnelle rendue tangible.
Ses motifs de prédilection - cailloux et rochers, arbres dépouillés, maisons fantomatiques - inlassablement déclinés et réduits à leur simple expression, semblent perçus à travers le prisme d’une eau dormante. Les estampes de Marina Vandra décrivent un monde flottant, dénué de cohérence topographique, sinon de celle des songes dont elles esquissent les contours équivoques.
Copyright © Marina Vandra ADAGP